Le roi et le président

elvis-and-nixon-posterDevenir un agent infiltré dans le milieu du rock à la solde de l’Etat Américain, afin d’éradiquer les ravages de la drogue, tisserait la trame d’un polar classique.
Un ancien cas social sudiste tentant de se faire valoir auprès d’un paysan texan parvenu à la Maison-Blanche aurait pu inspirer Faulkner et Steinbeck.
Un roi sans trône rendant visite à un président à l’autorité contestée pourrait donner lieu à une tragédie shakespearienne ou à un thriller politique.
Ce n’est pas le genre dans cette pièce cinématographique mise en scène par Liza Johnson. Le roi s’appelle Elvis, incarné par Michael Shannon loin d’être un sosie, et le président, c’est Nixon, personnifié par Kevin Spacey qui jure comme un charretier dans son bureau ovale. Il en découle une comédie burlesque sur le rêve américain. On peut s’appeler Elvis Presley mais on n’entre pas à la Maison-Blanche comme à Graceland.
L’autorité du roi du rock, chargé aux amphet’, est remise en question par les « groupes de hippies drogués » (chargés, eux, aux acides et au LSD) qu’il va tenter de combattre en réclamant les pleins pouvoirs d’un agent fédéral « at large ». La visite d’un roi parmi d’autres (on voit les souverains se succéder sur un rythme funky aux entrevues présidentielles) à un président en mal de popularité car empêtré dans la guerre au Viet-Nam et qui n’a que faire d’un roi sans trône, a bien eu lieu. Ils peuvent posséder le monde avec un poil de mégalomanie mais leurs aspirations restent modestes : le roi ne souhaite qu’un badge de plus dans sa collection, tandis que le président ne réclame finalement qu’une sorte de selfie institutionnel pour sa fille. Résulat : on fiche le protocole en l’air en se roulant parterre à coups de M&M’s et de démonstration de karaté.
Le ton de la comédie révèle néanmoins l’épaisseur de personnages partageant des racines sudistes puis ayant pris des trajectoires différentes qui les ont menés à leurs sommets respectifs. Mais parvenus aux altitudes du pouvoir, ils prennent conscience de s’être éloignés de la normalité et du terreau rural dont ils sont issus.
On a beau s’appeler Elvis, être roi du rock, aucune trace musicale du King ne figure dans ce film. L’ambiance est plutôt funky seventies (on est en 1970) sans aucune allusion au rock, pour souligner la disparition du trône et se concentrer sur le personnage. Si la traduction française qualifie Elvis Presley d' »artiste », il est considéré en anglais comme un « entertainer », quelqu’un qui divertit : le roi se fait le bouffon du président.
Dans ce film bâti comme une pièce de théâtre, on se marre de bout en bout même sans être fan d’Elvis ou de Nixon. On devient en tout cas fan du jeu de Michael Shannon et de Kevin Spacey.
« Elvis & Nixon » n’est plus à l’affiche parce qu’Elvis est mort, le rock n’existe plus et Nixon a démissionné. Regardez-le avec le peu de pouvoir dont vous disposez.